Moyen Âge
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Bien loin de la conception cataclysmique que nous en avons, l’apocalypse est en réalité un genre littéraire qui s’enracine dans l’Antiquité judéo-chrétienne. Deux de ces apocalypses, l’Apocalypse de Jean et l’Apocalypse de Paul, ont laissé une empreinte durable dans les mentalités médiévales, car elles répondaient à deux préoccupations majeures du Moyen Âge : le Jugement collectif et le Jugement individuel. Elles ont donné naissance à un imaginaire qui a imprégné une part cnsidérable de la littérature médiévale, jusqu’à devenir un univers mental autonome, riche de motifs, de lieux, de créatures et quelquefois d’inquiétudes. De texte en texte, cet imaginaire s’est propagé au gré de strates intertextuelles que la philologie est en mesure de démêler. Cependant, ce réseau d’interférences ne doit pas nous faire oublier que l’imaginaire apocalyptique a aussi sollicité, au fil de sa transmission, des mécanismes cognitifs tels que la compréhension, la représentation ou l’imagination.
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Écrivain, voyageur et courtisan, familier de Louise de Savoie et de François Ier qui lui commandent ses ouvrages, le franciscain Jean Thenaud (c. 1480-1542) est une figure décisive par les innovations qu’il apporte à la culture de la Renaissance française. Connu par son seul livre imprimé, le Voyage d’Oultremer, qui relate son séjour en Égypte et en Terre sainte, il est aussi l’auteur d’une importante synthèse poético-mythographique inspirée de Boccace. On lui doit également les premi¨res adaptations françaises de Lucien et d’Érasme. Son chef d’œuvre, les quatre volumes des Triumphes des Vertuz, est le dernier grand songe allégorique qui prolonge la tradition médiévale et préfigure les Tiers et Quart Livres de Rabelais, aec lequel l’auteur est en relation. Enfin, son traité de « cabale chrétienne » inaugure le genre en français et ses motifs talismaniques nourrissent le programme iconographique de Chambord. Ce recueil d’études, rédigées par des spécialistes des littératures médiévales et renaissantes, est le premier à lui être entièrement consacré.
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Composé deux ans après le Mortifiement de Vaine Plaisance, le Cuer d’amour espris est un récit à la fois romanesque et allégorique qui raconte, sous la forme d’un songe, les aventures du Cœur. Sorti de la poitrine du narrateur par Amour, il devient un chevalier qui part à la conquête de Douce Merci, sa bien-aimée. Après bien des tribulations, il parvient dans l’île du dieu Amour, où il réussit à donner un unique baiser à Douce Merci. Mais il est grièvement blessé par ses ennemis. Douce Merci est contrainte de retourner en captivité et le Cœur va finir ses jours en prières à l’Hôpital d’Amour. Dans l’épilogue, René espère qu’il ne sera plus tourmenté par le dieu Amour, qui embrase les cœurs d’un désir douloureux. Le jeu parodique et l’humour confèrent au récit une tonalité particulière et une expression singulière et originale, qui ne manquent ni de charme ni de poésie. Le texte est illustré par la reproduction des seize miniatures de Barthélemy d’Eyck.
Gilles Roussineau est professeur émérite à Sorbonne Université.
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Contrairement à la plupart des œuvres du Moyen Âge, Les Quinze joies de mariage (vers 1400) n’ont cessé d’être rééditées, traduites, illustrées. Mais comment ce fleuron de la misogynie a-t-il résisté à l’épreuve des siècles ? Tout en reprenant les lieux communs sur les femmes, le clerc anonyme sait raconter avec verve les conflits quotidiens entre les époux. Le lecteur peut trouver dans les récits un intérêt historique ou les faire entrer en résonance avec son propre temps. Le cadre a beau être médiéval, les stratégies de manipulation ou les souffrances causées par une relation toxique sont terriblement actuelles. Le carcan du devoir, les soucis d’argent, le viol, le divorce et le poids du jugement social ne le sont guère moins. Aussi d’un point de vue littéraire, les Quinze Joies sont d’une étonnante modernité : l’auteur soumet, sans juger, différents cas de figure au lecteur, le laissant libre d’en rire ou de s’indigner au nom de la morale – hier comme aujourd’hui.
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Publier des dépêches inédites d’un ambassadeur vénitien en France est chose rare. C’est pourtant le cas du recueil de quatre-vingts lettres de Girolamo Zorzi de la British Library. Le recueil est une mine pour les historiens en quête d’indices sur la diplomatie de la fin du Moyen Âge. En charge de récupérer des galéasses piratées par des corsaires, Zorzi est le témoin involontaire d’une des dernières séditions princières, la Guerre Folle, qui ébranle le royaume. Entre négociations commerciales, imbroglio juridique, péripéties guerrières, l’ambassadeur offre un jugement insolite sur les gouvernants, les institutions d’un royaume qu’il saisit par le biais d’un regard étranger. On parle souvent de la diplomatie comme d’une « histoire totale » : au fil des lettres envoyées à la Seigneurie durant les trois années qu’il passe à la Cour de France, ce sont les multiples facettes d’une histoire économique, politique, diplomatique et culturelle de l’Europe tardo-m©diévale que nous offre ce précieux document.
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Pour établir plusieurs originaux d’une même charte et en fortifier l’efficacité, les rédacteurs d’actes du Moyen Âge ont inventé un système ingénieux qu’ils ont paré du nom antique de « chirographe ». Sur une même feuille de parchemin sont inscrits deux ou plusieurs exemplaires de l’acte. Après découpe suivant une ligne d’écriture appelée « devise » ou « légende », chacune des « chartes parties » est remise à son destinataire, le plus souvent l’un des partenaires de l’acte. Cette pratique, d’abord attestée dans l’Angleterre du IXe siècle, connaît un succès grandissant du Xe au XIIIe siècle dans le royaume de France et en Lotharingie. Signe visible d’engagement et de réciprocité, le chirographe devient l’un des instruments ordinaires des contrats bilatéraux et des règlements de conflit.
Espèce diplomatique identifiée de longue date, le chirographe a tardé à capter l’attention des médiévistes au-delà de quelques études pionnières. À la faveur d’un approfondissement des questionnements liés à la matérialité des documents et aux dimensions extra-juridiques des chartes, il apparaît comme une pierre de touche indispensable à l’observation de la diversité diplomatique. Il invite l’historien à explorer les principes et concepts à l’œuvre (similitude, réciprocité, rapports entre visible et lisible) et à analyser les techniques qui en découlent, riches en variantes régionales ou institutionnelles.
Ce volume richement illustré a pour origine un projet collectif mené dans le cadre de la conférence de l’EPHE intitulée « Pratiques médiévales de l’écrit documentaire ». Il est consacré aux premiers siècles de l’existence du chirographe, période d’expérimentations orchestrées par les rédacteurs ecclésiastiques. Il réunit seize contributions. Les « Études thématiques et régionales » proposent huit articles et associent synthèses et catalogues régionaux à des analyses plus ciblées. L’« Album diplomatique » offre huit études de cas qui auscultent des actes choisis pour leur caractère exemplaire ou insolite.
Ni traité, ni manuel, l’ouvrage a vocation à devenir un « compagnon » de route pour de nouvelles enquêtes.
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Table des matières
Danielle Jacquart, doyen de la section des Sciences historiques et philologiques
Michel Hochmann, doyen de la section des Sciences historiques et philologiques
Direction d’études de Danielle Jacquart « Histoire des sciences au Moyen Âge ». Programme de la conférence 1990-2016
Bibliographie de Danielle Jacquart
Introduction
Nicolas Weill-Parot, Mireille Ausécache, Joël Chandelier, Laurence Moulinier-Brogi, Marilyn Nicoud
I. Science grecque, science arabe et science latine
Unité des savoirs et création terminologique entre arabe, grec, latin et français
Joëlle Ducos
Averroes comes to Montpellier
Michael McVaugh
Comment Averroès a empoisonné Avicenne : histoire d’une légende
Joël Chandelier
II. Nombres, lignes et lumière
Les premiers témoins de l’Arbor Boecii de Jean de Murs : deux contextes distincts pour l’enseignement de l’arithmétique spéculative à Paris au XIVe siècle
Matthieu Husson
Alhacen on Magnification in Convex Spherical Mirrors
A. Mark Smith
Le Timée de Platon-Calcidius et la réapparition de l’optique géométrique en Occident (XIIe-XIIIe siècles)
Colette Dufossé
III. Sphères, astres et influences astrales
Les modèles cosmologiques à huit, neuf et dix sphères célestes concentriques au XIIe siècle
Barbara Obrist
Michel Scot, le théologien
Oleg Voskoboynikov
Naissance et conception : autour de la proposition 51 du Centiloquium attribué à Ptolémée
Jean-Patrice Boudet
Astrology for the Doctor in a Work Addressed to Robert, Earl of Leicester
Charles Burnett
Un extrait de la Compilacions de le science des estoilles
Laurence Moulinier-Brogi
Astrologie et morale à la fin du Moyen Âge : le cas du manuscrit Cgm 5185 de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich
Arthur Hénaff
IV. Médecins et philosophes face aux mondes animé et inanimé
Le mélange et la complexion chez les médecins du XIIe siècle
Irene Caiazzo
Diagrammes visuels de l’Isagoge Iohannitii dans le ms. 322 de Berne
Nicoletta Palmieri
Diagnostic et prise en charge médicale des morts apparentes à la fin du Moyen Âge
Laetitia Loviconi
Jean Fernel (1497 ?-1558) et la science des maladies
Joël Coste
Le projectile, l’aimant et la doctrine de l’impetus dans la physique du XIVe siècle
Nicolas Weill-Parot
L’essor de l’intérêt pour la plante à la fin du Moyen Âge
Ariane Forot
V. Contours et confins de la médecine : poésie, amour, alchimie et cuisine
Sémiologie et poésie : le De pronosticis metrice attribué à Gilles de Corbeil
Mireille Ausécache
Etiche non cristiane in testi del XII e XIII secolo: il caso della lirica cortese
Adolfo Tura
Mélancolie et maladie d’amour au Moyen Âge
Azélina Jaboulet-Vercherre
Le Liber experimentorum attribué au médecin Arnaud de Villeneuve
Antoine Calvet
La cuisine est-elle un art ou une science ? Retour sur un vieux problème
Bruno Laurioux
VI. Médecins, cours et villes
Un médecin d’Afrique du Nord à la cour capétienne
François-Olivier Touati
Innocent III, la médecine et le corps
Agostino Paravicini Bagliani
Un « uomo di poche lettere » ? Benedetto Reguardati, la cour et l’écrit
Marilyn Nicoud
Ad omnes ex æquo. Un médecin au service de la ville d’Arles, François Vallériole (ca 1500-1579 ?)
Marie Madeleine Fontaine
Index des noms
Liste des auteurs
Tabula gratulatoria
De 1990 à 2016, Danielle Jacquart, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, à la section des Sciences historiques et philologiques, a, dans sa conférence, exploré la science et la médecine du Moyen Âge à travers une grande variété de thèmes qui très souvent s’interrogeaient sur la façon dont l’homme, corps et âme, avait été au cœur des préoccupations intellectuelles et pratiques des savants à travers des savoirs mettant en jeu sa place dans la nature et, au-delà, dans le monde. Ce volume d’hommage réunit les contributions d’élèves et d’amis de ce séminaire, donnant un aperçu de la richesse de cet enseignement. Spécialistes de l’histoire des sciences, de la philosophie ou de la littérature médiévales, ces derniers évoquent la transmission de la science grecque et arabe au monde latin, abordent des savoirs scientifiques spécifiques – mathématiques et optique, cosmologie et astrologie –, se penchent sur la théorie médicale et la philosophie naturelle, s’aventurent dans des domaines sollicitant le discours scientifique – cuisine, alchimie, réflexions littéraires –, ou bien cernent le milieu médical dans les cours ou dans les villes.
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